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ÿþLES POTINS DE LA COMETE


LES ARLESIENNES DU CIEL
En 1986 la Terre sera saluée d une visite historique, dont la date est connue depuis des siècles. Ce sera le retour de la comète "de Halley". Indépendamment des préparatifs scientifiques auquel cet évènement donnera lieu, on peut s attendre à une floraison d articles de presse sur l histoire de la découverte de son orbite; et sur les terreurs qu elle inspirait à nos ancêtres. On rappelera très probablement que cette comète fut excommuniée par le pape Calixte III, et l on reproduira à des millions d exemplaires le fragment de la tapisserie de Bayeux qui commémore la visite de cet astre lors du débarquement en Angleterre de Guillaume le conquérant. Bref, nous aurons l'occasion de nous replonger dans la "légende dorée" des comètes.
Ce regain d intérêt pour les phénomènes célestes ne sera pas mal venu, puisqu'un sondage réalisé en 1981, à l instigation du C.N.E.S., a révélé que 35% des français ignoraient que c est la Terre qui tourne autour du Soleil, et non l inverse! (1) Il est probable qu un sondage similaire sur les comètes donnerait lieu
à des conversations de ce genre:
- Croyez vous aux comètes?
- Evidemment! Quelle question!
- Mais en avez vous déja vu?
- Non. Mais ça existe.
- Pourquoi?
- Ben... Les astronomes, ils en voient. Et puis il y a des photos.
Pour le grand public, les cométes existent parce que les journaux en ont déjà parlé, parce que nos livres et nos revues de vulgarisation regorgent de photos de cométes, de planétes, et de galaxies, en gros plan et en technicolor; et parce que ce sont des savants qui le disent...
Mais si les planètes sont visibles à l oeil nu. même à Paris; peu nombreux sont ceux qui sauraient montrer dans le ciel ou se trouve la nébuleuse d Orion, ou la galaxie d'Andromède. Elles sont cependant bien connues: On nous en montre des photos pour illustrer chaque article qui traite de l univers ou de la vie extraterrestre.
Ces astres sont, eux aussi, visibles à l oeil nu, du moins dans un ciel pur, mais ce ne sont que de faibles lueurs diffuses qui n ont rien & voir avec les photographies qui nous sont familières, où une brillance illusoire est obtenue par l allongement du temps de pose. Encore peut on observer les nébuleuses, à la saison prés, en quasi permanence, mais il en va tout autrement des cométes, dont la lumiére est tout aussi
faible: Elles ne se montrent que quelques semaines, et changent de place chaque soir. Pourtant, les astronomes en observent chaque année, mais il est rare qu elles soient suffisamment visibles, ou assez célèbres, pour distraire l'attention des journalistes de la dernière manifestation politique, ou de la vie sentimentale de nos vedettes.
C est que ces astres pudibonds sont d'autant moins fréquents qu'ils sont plus brillants, en sorte que chaque génération n'a pas toujours la possibilité d'en observer. La derniere occasion valable se présenta en 1957, quand la comete d'Arend-Roland nous honora de sa visite. Encore faisait elle plutot pale figure à cote de celles que nos aïeux virent au siècle dernier.
Cette rareté est bien faite pour rendre insolite l'irruption dans notre ciel, nos medias, et notre vie quotidienne, de ces serpents-de-mer célestes", qui font alors couler beaucoup d'encre, et alimentent les conuersations ou suscitent les témoignages:
"C'est comme cette comète, qu'est ce que vous en pensez, m'dam Martin?
- Ben, justement, j'l'ai vu hier soir, m'sieu Paul
- Ah bon?, l'journal y disait qu'on la verrait pas avant l'mois prochain!
- Sûr que j'l'ai vu, m'sieu Paul, même qu'elle était grande comme ca!" (Geste du pêcheur qui en a pris un "comme ca")
Madame Martin n a pas rêvé. Elle a bien vu un point brillant suivi d'une queue diffuse, comme sur la photo du journal; mais elle ne saura jamais que ce n etait en réalité que la trainée d'un auion.
Lorsqu'un phénomène céleste est annoncé, il est fréquent que de nombreux témoins jurent l'avoir vu de leurs propres yeux, en un temps et en un lieu ou il était absolument invisible. Le 6 octobre 1834, par exemple le "TIMES" annonçait d'après un journal américain que la comète de Halley était visible dans la constellation du Taureau. Or elle n'arriva que l'année suivante... (2)

BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN
Finalement une comète n'a même pas besoin de se montrer pour faire parler d'elle!
En mars 1973, Lubos Kohoutek découvre sur ses plaques photos l'image d'une comète. On calcule qu'elle est encore à 10 mois du périhélie. On extrapole son éclat au voisinage du soleil.
Sensationnel! Elle sera presqu'aussi brillante que la lune, visible en plein jour, et sa queue couvrira le tiers du ciel nocturne!
La machine se met en marche. Les astronomes annoncent quelle route suivra, parmi les constellations, l'astre attendu. On aménage la mission des astronautes en orbite pour l'observer. Les journaux sérieux trouvent là l'occasion de faire un peu de vulgarisation. Certains en profitent pour rappeler de quelles calamités nos ancêtres chargeaient ces astres chevelus.
D'autres, trouvent plus rentable d'exploiter les superstitions dénoncées par les précédents:
"Grosse comme la lune... ...La comète des rois mages fonce vers la Terre a 150 000 km/heure!" (3)
Ils annoncent, sur la foi de Jérome Cardan, "de grandes calamités indéterminées" (sic), ajoutant que les gaz mortels des queues de comètes sont responsables des grandes épidémies de l'histoire!
Ils rapportent même que l'une d'entre elles annonça la naissance de Bouddha, "le dieu des bouddhistes" (resic).
Invité à un débat télévisé, un historien distingué énumère une inquiétante quantité de catastrophes qu'il croit pouvoir mettre en relation avec le passage d'une comète.
Des illuminés, vêtus de tuniques baroques, prophétisent la fin du monde: "La comète est la messagère de Dieu: 40 jours! Et Ninive sera détruite"
Et naturellement, on vend des t-shirts à l'effigie de la comète.
Las! La comète fut tout juste visible à l'oeil nu dans le ciel de haute Provence. Dans les brumes du Nord, il fallait un instrument, un atlas céleste et... beaucoup de patience. Les astronomes et les simples curieux ont été déçus. Quant aux prophètes et aux naïfs, ils n'ont pas dus être plus favorisés, mais ils ont certainement cru voir ce qu'ils voulaient (ou craignaient) voir.
Ce n'était d'ailleurs pas la première fois qu'on faisait tant de bruit pour si peu, il y eut pire!

LA FIN DU MONDE
En 1857 un journaliste. sans doute en mal de copie. annonça pour le 13 juin, d'après un astronome allemand, l'arrivée d'une comète qui devait rien moins qu'heurter la Terre. Horreur! C'etait la fin du monde! La nouvelle se répandit dans l'Europe entière et produisit l'émotion que l'on devine. On en parla sur tous les tons, y cmmpris en chansons cnmme le fit le chansonnier patoisant Desrousseaux:
In vettiant dins s'lorgnette,
Un allemand bien malin,
A prédit qu'eun' comète
Arriv'ra l'treiss' de juin.
Et cha n's'ra point pour rire
Du cop d'queu' qu'ell' donn'ra
(I' n'a point craint de l'dire)
L'monde intier trépass'ra.
In attendant ch'l'aFFaire
Au lieu d'nous mette à braire.
Buvons, maingeons.
Dansons, rions,
Et dijons des canchons. (4)
Le prétendu astronome allemand s'appelait Matthieu Laensberg. Il était en réalité liégeois, auteur d'almanach, et... mort depuis longtemps. Quant à la fameuse prédiction, elle se fondait sur le retour hypothétique de la comète dite de "Charles Quint". Un astronome de Middelbourg calcula que, vu l'incertitude dans la détermination de son orbite, on pouvait l'attendre à tout moment pendant encore trois ans. (5)
Cela fait longtemps qu'on ne l'attend plus...
Ainsi que la comète soit visible, ou non, qu'elle soit là, ou pas, le comportement populaire est toujours le même. La rumeur n'a pas besoin de voir pour croire.

LA PSYCHOSE EN ACTION
On ne s'effraye plus guère, aujourd'hui, du passage de ces messagères du cosmos, mais les comportements marginaux face aux phénomènes célestes un tant soit peu spectaculaires nous aident à comprendre quelles paniques purent s'emparer de nos aïeux devant l'un d'eux.
"J'ai aperçu une lumière infernale qui se dirigea vers mon véhicule et à quelques mètres du sol tout en crachant du feu par son snmmet pendant que d'immenses miroirs formant sa base reflétaient une lumière intense. Puis la chose se redressa et partit dans le ciel après avoir brulé la cime des sapins environnants..." (6)
Qui décrit cette vision d'enfer? Un automobiliste passablement impressionné par la rentrée dans l'atmosphère d'une fusée "TIBERE", le 18 mars 1972.
On dira qu'il ne s'y attendait pas. Mais s'il s'était attendu à quelque chose, ç'aurait pu être pire!
Ainsi le 17 octobre 1954, à Bonningues-les-Calais, à la vue d'un objet lumineux, un avocat stoppa sa voiture et courut se cacher dans un bois. (7)
Le 9 novembre de la même année, au Cateau (Nord), c'est un cycliste qui se jeta dans le fossé en apercevant la lune près de l'horizon! (8)
Dans les deux cas, les témoins avaient été prévenus par la rumeur publique: Le ciel était infesté de soucoupes volantes!
Plus récemmemt, la retombée de "SKYLAB" nous valut de belles émotions qui allèrent crescendo jusqu'au 11 juillet 1979 a 19h.
Cela commença par des rappels intermittents de l'existence de cette colossale épée de Damoclès. Puis en juin, on annonça que l'altitude de la station spatiale entrainerait inéluctablement sa chute dans les semaines qui suivraient, en insistant sur l'impossibilité de fixer une date précise, donc à déterminer le lieu de l'impact.
On commence à s'indigner. On fustige l'incurie de la NASA.
Début Juillet, la menace se précise, l'inquiêtude aussi. "Pas de panique", titre une revue, "une bombe sur nos têtes", titre une autre. On suppute les chances qu'a cette ferraille diabolique de tomber sur une grande ville. Rassureurs et alarmistes se battent à coup de statistiques. On calcule que la chute du morceau le plus lourd créera un cratère de 30 m de profondeur!
On rappelle que la retombée d'une fusée américaine tua... une vache cubaine, à laquelle on fit des funérailles nationales!
Un américain crée une association de défense: "Le club des petits trouillards".
Crainte réelle, ou dérision, la manie du casque s'intalle. Le modèle da luxe est doté d'une antenne qui prévient son porteur .00000019 seconde à l'avance. D'autres sont plus prosaïquement ...En papier.
D'astucieux hommes d'affaires proposent des assurances contre les dégats éventuels.

AU SECOURS!
Dans les derniers jours, les informations les plus farfelues pullulent:
En Virginie, un nommé David Turosak vend des tickets d'entrée dans son jardin, persuadé que la chute aura lieu chez lui.
Dans le Missouri, s'organisent des "SKYLAB-parties": Il faut attraper les morceaux avec des gants de base-ball!
Des californiens se font photographier en armure médiévale.
A Las Végas, un casino ouvre des paris sur le lieu de la chute.
Un baume anti-Skylab est mis en vente: Il est censé repousser les débris de l'engin. (un second baume pare aux conséquences de l'inefficacité du premier).
Dans le New Jersey, des étudiants tentent de faire remonter l'altitude de l'engin par psychokinèse!
On peint dès cibles géantes et des "welcome SKYLAB" (ce qui, aux. U.S.A. est équivalent à "SKYLAB go home")
En Belgique on s'interroge sur les mesures à prendre:
-Faut il étanconner les caves?
-Faut il se munir de vivres?
-Vaut il mieux. pour un automobiliste, rester dans sa voiture?
-Et s'il tombait sur une centrale nucléaire? Etc...
En Suisse la radio diffuse un programme musical nocturne.
Au Vatican on réquisitionne les casques de la garde suisse.
Aux Indes, des habitants quittent leur village.
Au Sri Lanka, on organise des sacrifices.
Aux Philippines, un habitant meurt d'une crise cardiaque en criant "Skylab! Skylab!", tandis que ses compatriotes font une
razzia dans les magasins
Enfin, par contraste, le plus stupéfiant: En R.F.A., un sondage révèle que 24% des allemands pensent que "SKYLAB" est une marque ommerciale, une matière plastique, ou un parapluie!
On se demande ce qui se serait passé si un journaliste avait remarqué cet inquiétant phénomène: Entre 1978 et Juilllet 1979, la lecture attentive des journaux montrait que la masse de la station spatiale ne cessait d'augmenter, passant de 74.8 t à 76, puis 77, et enfin 78 t! (9)

LA COMETE QUI FAILLIT NOUS ASPHYXIER
A lire un tel catalogue d'absurdités, on ne peut plus s'étonner de la psychose que provoqua l'arrivée de la comète de 1910, celle la même qui doit nous revenir prochainement.
A cette époque on ne s'inquiétait déjà plus trop d'une destruction du globe par le choc d'une comète. comme ce fut le cas en 1832 quand on s'aperçut que la comète de Biéla allait couper l'orbite terrestre. C'est un phénomène à résonance plus moderne qui provoqua la panique: La pollution atmosphérique.
Paradoxalement, ce sont les vulgarisateurs scientifiques qui déclenchèrent l'anxiété populaire, alors que leur role était précisément de l'éviter.
En septembre 1909, Camille Flammarion révéla que la queue de la comète contenait du gaz cyanogène, le terrible poison. Un professeur de l'uniuersité de Dijon regarda comme possible une influence de la comète sur notre atmosphère. Enfin l'abbé
Moreux renchérit: "Notre atmosphère va-t-elle devenir irrespirable et mortelle?". Après des déclarations aussi alarmantes, il leur fut d'autant moins possible de juguler l'épidémie de "comètite", qu'une seconde comète apparut cette année là. En dépit de leurs prudentes réserves, le public ne retint qu'une chose: Nous risquions de périr quand la Terre traverserait la queue de la comète.
Comment se protéger? Un américain vendit des pilules contre la comète. Uh industriel de Chicago sa fit construire un abri ou il entreposa 100 bouteilles d'oxygène.
On organisa des processions et l'on brula des cierges.
Près de Florence, à la suite d'une pluie de météorites, des prêtres sonnèrent les cloches, jetèrent de l'eau bénite vers les quatre points cardinaux, et en tamponnèrent consciencieusement leurs ouailles avec leur goupillon.
Dans l'Oklahoma, les membres d'une secte de fanatiques tentèrent de sacrifier une jeune fille pour laver les péchés des hommes. Le shériff survint juste à temps.
En Hongrie, un veilleur de nuit déposa une requête pour que l'institut météorolngique éloigne la comète qui perturbait son
service, car, e×pliqua-t-il, les gens affolés parcouraient les rues toutes les nuits.
Les voyants se mirent de la partie. Le devin américain Lee Spangler prophétisa que la Terre serait volatilisée. C'était d'autant plus alarmant qu'il avait déja prédit le fameux séisme de San Francisco!
Dans un tel climat, la moindre détonation pouvait avoir des conséquences imprévisibles. A Montréal une invalide, crogant à
l'arrivée de la comète tomba raide morte en entendant le claquement d'une porte. A New-York un plaisantin, qui avait fait exploser un ballon lancé d'un toit, déclencha une panique collective qui fit plusieurs blessés.
Les suicides se multiplièrent. Un hongrois préféra se tuer que d'être tué par la comète. Une parisienne s'écria "la voila, la voila", et s'élança par la fenêtre. Près de Trèves, un mère jeta son enfant dans un puit.
Une habitante de Pittsburgh, effrayée par un simple nuage se fit sauter la cervelle. Une femme du monde moscouite choisit de se noyer dans l'alcool, préférant mourir en état d'ivresse avant le jour fatal.
Le snobisme ne pouvant être en reste, aux U.S.A. s'organisèrent des "comet-parties" où l'on servit un "cyanogen cocktail". On vendit des broches en Forme de comètes, et des bijoux ornée de pierres météoritiques (ou présentées comme telles). On s'habilla et on se coiffa "à la comète".
Le soir de la plus grande proximité, beaucoup de gens passèrent la nuit à scruter en vain un ciel voilé d'épais nuages. Camille Flammarion, à Juvisy et ceux qui s'étaient postés en haut de la Tour Eiffel ne furent pas plus heureux. Au matin la fin du monde ne s'était toujours pas produite et si la comète fut néanmoins visible les jours
suivants, elle avait raté son effet. Les uns respirèrent, les autres rirent, et tout finit par dee plaisanteries et des calembours (10)

LES TERREURS DE L'AGE DES TENEBRES
Le remarquable parallèle entre les deux psychoses précédentes laisse penser que leur processus est immuable. On peut même parier que dans les vitrines de la Fin 1909, St Nicolas vint porter ses joujoux juché sur une comète, comme le pere Noël
vint en soucoupe volante en 1954, et en spoutnik en 1957.
Les terreurs des siècles passés sont moins documentées, mais si le processus en est identique, les causes en sont différentes, puisque les raisons pour lesquelles on craint varient avec les connaissances de L'époque: Le développement de la chimie au XIXème siècle fut cause qu'on s'attendit en 191Ø à mourir d'un gaz délétère, comme celui de la mécanique céleste au XVIIIème suscita la crainte d'une collision. Auparavant la science n'ayant rien à dire des comètes, c'est l'astrologie qui parlait, faisant de leurs apparitinns de funestes présages.
Ces terreurs sont si légendaires que tous les vulgarisateurs les mentionnent sans chercher à vérifier si elles ont bien eu lieu. Certains vont même plus loin: Il les inventent!
La bas sur l horizon, un trait lumineux se montre, tel un léger brouillard...
Le guet, sur le beffroi, l a vu le premier, il a frappé la grosse cloche...
Tous les yeux sont fixés sur l'astre merveilleux...
Un rassemblement s'est formé autour d'un petit homme à tête grise. Celui ci se souvient de la mauvaise peste de 1618, "amenée par la comète géante qu'on vit alors". Il raconte, à mots convaincants, la façon dont passa "la mort noire", fauchant des familles entières...
Les auditeurs en ont froid dans le dos, et, avec une épouvante visible et intime, ils regardent "la verge de la colère de dieu" qui passe au dessus du pays.
Dans le groupe des savants, le chirurgien explique qu'en 1577, alors que planait au dessus de l empire une des plus grandes étoiles à queue que l'on ait jamais vues, il mourut des quantités de gens et de bestiaux parce que les exhalaisons pernicieuses de la comète avaient empoisonné l'eau des puits et l herbe des champs...
Un des magisters secoue la tête; c'est un homme éclairé, aux idées nettes; il s'est occupé de la science des étoiles et ne croit pas à l'influence des comètes sur les actions humaines; il insinue que les comètes, même les plus proches, volent à une grande distance, que leurs queues ne pourraient toucher la surface terrestre, et qu'elles n'émettent pas de vapeurs. Le sceptique est contredit par le vieux qui a vu la comète de 1618 et qui entend les discours de ses voisins. Il a vu de ses yeux les vapeurs lourdes qui stagnaient des jours entiers sur la terre. "Ce pouvait être d'épais brouillards", dit le maître d'école. Mais les gens effrayés préfèrent l'expérience du vieux à la science du jeune."
Ce récit fort convaincant a été imaginé en 1910 par Bruno Hans Bürgel pour décrire l'apparition d'une comète il y a quelques siècles (11). Sa vraisemblance donne à penser: Certaines superstitions sur les comètes, mentionnées par les bons auteurs, et tout aussi vraisemblables, pour qui connait l'ignorance humaine, ne seraient elles pas imaginaires elles aussi? La réponse est oui! Confortés dans l'idée de l'immensité de la bêtise humaine par leurs propres constatations, des vulgarisateurs aussi prestigieux qu'Arago, Flammarion ou l'abbé Moreux se sont recopiés les uns les autres, acceptant pour authentiques (et embellissant au besoin), des légendes qui venaient à point paur justifier leurs propos. C'est ainsi qu'un ouvrage d'astronomie qui se respecte ne saurait consacrer un chapitre aux comètes, sans rappeler comment l'illustre Ambroise Paré décrivait la comête de 1528 à l'aide d'épées colorées de sang, et de faces humaines hideuses aux cheveux hérissés. Bien entendu l'ouvrage donne aussi une "reproduction fidèle" (12) de la gravure représentant la dite comète, extraite du livre sur les monstres célestes de l'excellent Ambroise. Mais l'auteur ne semble jamais etre allé aux sources, car on ne trouve pas cet ouvrage dans l'édition de 1575 des oeuvres complètes du célèbre chirurgien. Par contre dans le vingt-quatrième livre, de l'édition de 1579, qui traite en 78 pages des monstruosités médicales ou zoologiques connues de son temps (et souvent douteuses), le chapitre XXXVII est effectivement intitulé "des monstres célestes". Y sont décrits, la chute d'une météorite, la vision d'armées dans le ciel, des pluies de sang et de terre, et deux apparitions de comètes, dont l'une eut lieu le 9 octobre 1528 en Vuestrie (13), mais de son propre aveu, Ambroise Paré ne faisait que recopier des passages des "histoires prodigieuses" de Pierre Boaistuau (publiées en 1560), qui les avait empruntées à Conrad Wolfhart, dit "Lycosthènes", lequel, après de patientes recherches, avait reconstitué le "prodigiorum liber" de Julius Obsequens, écrivain latin du IVème siècle, qui lui même avait établi sur les écrits du temps, une compilation de tout ce que la crédulité de l'époque considérait comme prodigieux. Après quoi Lycosthènes publia en 1557 "prodigiorum ac ostentorum chronicon", enrichi de faits plus récents.
On voit que si les sources du brave chirurgien n'étaient pas de première fraicheur, il peut être lavé de l'accusation d'avoir décrit un astre avec trop d'imagination, d'autant plus qu'en 1528 il n'avait guère que 11 ans...
La confusion prend sa source en 1865 dans un ouvrage du naturaliste Pouchet (14), qui» bien que n'ayant jamais prétendu que Paré ait été l'observateur, en donnait une citation tronquée qui laissait croire qu'il s'agissait d'un témoignage.

LA COMETE EXCOMMUNIEE
La comète de Halley toujours elle, traine dernière elle, outre sa queue, une légende curieuse depuis son passage de 1456, où elle se montra particulièrement brillante. On prétend parfois que cette année là, le pape fulmina contre elle une bulle, où il l'excommuniait conjointement avec les turcs, qui venaient de s'emparer de Constantinople. La réalité est un peu différente:
les turcs avaient pris Constantinople depuis deux ans lorsqu'Alphonse Borgia devint Page sans le nom de Calixte III. son grand dessein fut de bouter ceux ci hors d'Europe, mais, ne trouvant pas d'appui auprès des États italiens, il promulga le 14 juin 1456 une bulle ou il ordonnait de réciter des prières contre les païens, de sonner les cloches trois fois par jour, et d'organiser des processions, en même temps que Jean Capistrano prêchait la croisade contre les turcs. Le même mois parut la comète. Les astrologues romains y virent comme d'habitude un sombre présage (les astrologues turcs aussi, sans doute). Le 4 juillet les turcs assiégèrent Belgrade. Ils y furent défaits le 22 par l'armée chrétienne sous le commandement d'Huniade. Cette année là, peste et famine sévirent à Rome, et l'on fit des processions, comme alors en pareil cas (des mesures d'hygiène aurait peut-être donné un meilleur résultat).
Ces divers évènements furent rapportés ensemble par l'humaniste Platina, contemporain de Calixte, et auteur d'une histoire des papes. Il associait les processions, les craintes des astrologues, et la lutte contre les turcs. Son texte fut repris par divers historiens, dont François Bruys, qui, ayant embrassé la réforme, publia une histoire des papes d'un ton quelque peu différent. Sous sa plume, Calixte profita des craintes suscitées par la comète pour exhorter le peuple à la prière. La version de Platina, ou celle de Bruys, inspira l'astronome
Laplace qui, en 1796, écrivit dans son "exposition du système du monde":
"...Le pape ordonna des prières publiques dans lesquelles on conjurait la comète et les turcs."
Le ton était donné et cette fable fut propagée pendant tout le XIXème siècle. Notammemt par Arago, lequel, trouvant sans doute que "conjurer" n'exprimait pas assez bien l'obscurantisme pontifical, préféra écrire en 1831 que le pape ordonna des prières où "on excommuniait à la fois la comète et les turcs". Conjurer, c'est tenter de venir à bout d'un péril par des prières. Excommunier, c'est exclure de la communauté. L'emploi d'un tel mot était donc déjà absurde, mais on alla plus loin:
En 1852, dans son "history of physical astronomy", Grant, traducteur d'Arago, affirma que le pape Calixte "émit une bulle ou il anathémisa à la fois les turcs et la comète".
Enfin, en 1853, Babinet décrivit la bataille de Belgrade, où les frères mineurs "le cruciFix à la main, étaient aux premiers rangs, invoquant l'exorcisme du pape contre la comète".
Toutes ces versions firent leur chemin, les auteurs se recopiant mot pour mot, ou au contraire mélangeant tout, ce qui donna chez B.H. Bürgel, en 1910: "Le pape Clément VII stigmatisa du nom de "crachat du diable", une comète parue en 1532, et lança un anathème contre elle."
C'est Paul Ruffini, de Modène, qui, en 1821, aurait le premier réfuté la légende dans une dissertation sur l'oeuvre de Laplace. puis vinrent l'astronome Faye en 1858, et à partir de 1859, d'érudits ecclésiastiques, pour qui cette rumeur avait des relents d'anticléricalisme. (15)
Aujourd'hui, on écrit encore parfois que c'est la comète de 1456 qui est à l'origine de l'angélus de midi. La légende et son antidote n'ont pas fini leur course poursuite...

LES SUPERSTITIONS DES SAVANTS
On voit que la science n'exempte pas ses adeptes de colporter des rumeurs. Elle ne les dispense pas non plus d'émettre des théories farfelues, car l'historien qui prétendait corréler les apparitions de comètes avec d'innombrables calamités» eut de nombreux prédécesseurs.
Dans un mémoire publié en 1829, le docteur Forster prétendit démontrer que toutes les catastrophes tempêtes, séismes, épidémies, éruptions volcaniques, grêles, inondations, invasions de sauterelles, etc. etc. étaient à mettre sur le compte des comètes. Il se basait sur un long catalogue où les comètes étaient mises en regard des fléaux qu'elles étaient censées avoir engendré. Il n'était pas bien difficile d'en
trouver quand on acceptait n'importe quoi sur la foi de n'importe qui, comme qu'en 1668 il y eut une grande mortalité de chats en Westphalie. Quand on sait qu'il n'y a guère eu d'année qui n'ait pas vu de conflit armé, on comprend qu'il aurait été bien plus significatif que les années à comète aient été vierges de tout fléau.
En 1708, Whiston, successeur de Newton à l'université de Cambridge, fit paraitre une nouvelle théorie géologique fondée à la fois sur la Bible et sur les comètes. Selon lui, la Terre était à l'origine une comète dont les nébulosités se condensèrent pour donner océans et atmosphère. La rotation de la Terre n'aurait commencé qu'après la faute d'Adam et Eve, et sa révolution durait alors 360 jours. En l'an -2349 le passage d'une autre comète produisit le déluge universel et modifia l'orbite terrestre. Cette comète nous revient tous les 575 ans
et précipitera un jour la Terre vers le soleil, la faisant périr par le feu.
Pour expliquer qu'on ne l'ait pas vue dans l'antiquité grecque, un supporter de Whiston prétendit qu'on l'avait confondue avec Vénus! On voit qu'avec ses "mondes en collision" Vélikowski n'a rien inventé.
On peut d'autant moins tenir rigueur à Whiston qu'Halley lui même avait soutenu une théorie semblable, et que l'illustre Newton crogait que par une sorte d'usure de son orbite, le destin ordinaire d'une comète était de se précipiter dans le soleil et d'en alimenter ainsi la combustion. Or ceci est en contradiction avec sa propre théorie de la gravitation universelle.
Le mathématicien Bernouilli pensait que si le corps d'une comète n'est pas un signe visible de la colère de Dieu, la queue pourrait bien en être un!
Le géomètre Maupertuis se plaisait à penser que les comètes étaient habitées, et que la rencontre avec l'une d'elles apporterait à notre planète de fabuleuses richesses.
Enfin Arago, si prompt à pourfendre les sottises qu'on répandait sur les comètes ne condamnait pas l'hypothèse de l'habitabilité des comètes.
Il est vrai que le même Arago ne trouva pas malséant non plus de discuter de l'habitabilité du soleil, que Camille Flammarion croyait aux fantômes le plus sérieusement du monde, au point d'y consacrer plusieurs livres, et que l'abbé Moreux en écrivit un pour démontrer que la science mystérieuse des pharaons avait caché un puissant savoir dans les proportions de la pyramide de Khéops!
Aujourd'hui on trouve de distingués savants pour croire aux soucoupes volantes ou aux pouvoirs des tortionnaires de clés et de petites cuillères.
Décidément, la naïveté ne connait ni frontières géographiques, ni frontières chronologiques, ni frontières sociales ou culturelles. Il est à parier que, bien qu'on nous la promette tout juste visible à l'oeil nu, la prochaine apparition de la comète de Halley s'accompagnera de son cortège habituel d'incongruités.

Dominique Caudron

NOTES
1 Voir détails dans "ECHEC A LA SCIENCE" de J.H. Kapferer et B. Dubois - N.E.R. 1981
2 "NATURE" - 6/10/1934
3 "NOSTRADAMUS" - 20/12/1973 p. 19
4 "CHANSONS ET PASQUILLES LILLOISES" - Gérard Montfort 1972 vol III p 120
5 Voir Louis Figuier - "L'ANNEE SCIENTIFIQUE ET IHDUSTRIELLE" - Hachette 1858 p. 1-13
6 "CIEL ET ESPACE" - mars-avril 1973 p. 30
7 "NORD MATIN" - éd. Calais 21/16/1954 p. 4
B "LA CROIX DU NORD" 11/11/1954 p. 5 et "NORD MATIN" ed. Cambrai 10/11/1954 p. 4 . Ces sources ne précisent pas qu'il s'agit de la lune, c'est le calcul qui l'indique
10 D'après divers journaux et revues du 28/9/1978 au 13/7/1979 les sources sont trop nombreuses pour etre citées une par une
10 C.Lomé - La comète de la grande peur - "LECTURES POUR TOUS" 3/1956
11 "LES MONDES LOINTAINS" - Arthème Fayard 1944 p 290
12 Reproduction tout juste ressemblante dans "L'ASTRONOMIE POPULAIRE" de Flammarion de 1880, alors qu'il en avait donné un
fac-similé exact en 1875 dans ses "MERVEILLES CELESTES"
13 soit le 19 octobre en calendrier grégorien. Vuestrie (Westrie) désigne probablement une contrée à l'ouest de l'Allemagne
Selon Guillemin, Il y a peut être confusion avec une autre comète de description similaire, parus en octobre 1508
14 F.A.Pouchet - "L'UNIVERS, LES INFINIMENT GRANDS ET LES INFINIMEN6 PETITS" - Hachette 1855 p. 442 note 131
15 Voir surtout
J. Thirion - la légende de l'excommunication - "REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES" 4ème tr. 1909 P 679
J. Stein - article "Halley" dans le "DICTIONNAIRE APOLOGETIQUE DE LA FOI CATHOLIQUE" - 1925
P. Véron et J.C. Ribes - "LES CDMETES" - Hachette 1979 p. 82

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