" Toute âme est otage de ses actions", Sophie Pétronin : une libération qui interroge



On pensait beaucoup de choses possibles en 2020, mais certainement pas de devoir se demander au bout de quelques heures si un otage libéré faisait encore partie des nôtres. Autopsie d'une libération houleuse et pleine d'incompréhension. Vendredi 9 octobre 2020, Sophie Pétronin atterrit à la base aérienne de Villacoublay et rentre donc en France après 4 années de détention au Mali. Enlevée en 2016 à Gao par un groupe de djihadistes associés à Al-Qaïda, cette femme de 75 ans était la dernière Française encore retenue en otage dans le monde. Pourtant, très vite, au soulagement collectif de voir une compatriote retrouver sa liberté, succède un sentiment de malaise et de perplexité. En effet, la veille de sa venue en France, Sophie Pétronin a accordé une interview à la télévision malienne. Ce sont ses premiers mots qui ont engendré le début d'une myriade de questions : "Pour le Mali, je vais prier et implorer la bénédiction d'Allah, parce que je suis musulmane. Vous dites Sophie, mais c'est Mariam que vous avez devant vous".

"Le problème, c’est le séparatisme islamiste [...]. Le problème, c'est cette idéologie, qui affirme que ses lois propres sont supérieures à celles de la République."

Malaise. Il serait alors bien aisé de voir ici un simple relent d'islamophobie primaire de notre part. Or, cela aurait occulté le véritable problème de fond. Est-il réellement raisonnable de faire de telles déclarations quelques heures après avoir été libéré ? Accordons à Sophie Pétronin le bénéfice du doute : étant éloignée de la France ces dernières années, elle ne pouvait pas se rendre compte que ses mots allaient rentrer en résonance directs avec une actualité brûlante. Oui, la question de l'islam radicale est un sujet incontournable de notre société comme le prouvent encore les déclarations du président Emmanuel Macron le 2 octobre 2020 lors de son discours sur le séparatisme : "Le problème, c’est le séparatisme islamiste [...]. Le problème, c'est cette idéologie, qui affirme que ses lois propres sont supérieures à celles de la République. Je ne demande à aucun de nos citoyens de croire ou de ne pas croire, de croire un peu ou modérément, ça n’est pas l'affaire de la République, mais je demande à tout citoyen, quelle que soit sa religion ou pas, de respecter absolument toutes les lois de la République." Dans un pays tel que la France connaît des attentats meurtriers liés au terrorisme islamique ou des attentats ont tué 250 personnes ces plusieurs années, les deux phrases de l'ex-otage ont mis le feu à la poudrière. Une fois de plus, l'opinion se déchire : les termes de "fachos" fusent sur les réseaux sociaux contre les personnes s'indignant devant de tels propos qui en réponse traite "d'islamo gauchistes" la partie adverse. Essayons pour notre part de prendre un peu de recul sur cette situation. Il semble désormais clair que l'ex-otage s'est convertie durant sa captivité. Cette pratique n'est pas un phénomène isolé, on peut prendre l'exemple de l'ex-otage italien Silvia Romano.Femme de 25 ans, membre d'une ONG, elle avait été enlevée au Kenya en novembre 2018. Retenue prisonnière par le groupe islamiste des Chebabs en Somalie , Silvia Romano a été libérée en mai 2020. Quelle fut la surprise des Italiens de la voir descendre de l'avion vêtu d'un hidjab vert et disant se nommer Aicha. Là encore, une partie de la droite de son pays avait réagi assez violemment face à cette découverte. Cependant, en remettant les évènements dans leur contexte, ces conversions trouvent un sens : lisant le Coran durant sa longue détention, la volontaire italienne était alors devenue musulmane.En effet, les Chebabs n'étant pas connu pour leur tolérance, il est aisé de deviner que l'otage n'a pas vraiment eu le choix que d'embrasser l'Islam de manière volontaire ou non. Il en va peut-être de même pour Sophie Pétronin. Nul doute que sa conversion lui a rendu une détention plus convenable comme l'attestent les déclarations de son fils, Sébastien Chadaud-Pétronin, dans une interview pour BFM : "Elle a eu raison. Quand on s'apprête à vivre ce genre d'aventure, on a plutôt intérêt à se familiariser avec les us et coutumes et essayer d'être plus dans l'acceptation, la compréhension. (...) Elle m'a confié qu'un otage australien ne s'était pas converti, et il part pour un combat qui va être beaucoup plus difficile avec des conditions de détention qui seront plus rudes (...)soit elle essaye de s'adapter, soit elle va périr, et ma mère s'est adaptée." Se convertir ou mourir en somme. Face à un tel dilemme, il est assez difficile de critiquer le choix de Sophie Pétronin et ce n'est pas le sort de l'otage suisse, une missionnaire assassinée, qui prouvera l'inverse.

"Que représente encore la France aux yeux de celle qui semble avoir passé une détention sans anicroche et qui a exprimé le souhait de retourner au plus vite au Mali"

Mais ce n'est pas tout. . Non contente de cette déclaration initiale clivante, Sophie Pétronin continue sur sa lancée en refusant de qualifier de "djihadistes" ou encore de "terroristes" le groupe armé qui l'a détenu : "Appelez-les comme vous voulez, moi, je dirais que ce sont des groupes d'opposition armés au régime." Au malaise cède désormais l'indignation, car oui,en refusant de nommer clairement ses geôliers, l'ex-otage exprime une sorte de bienveillance à leur égard . Les observateurs sur place ont clairement identifié le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans, connu sous le sigle de GSIM, comme étant responsable de son rapt. Alors pourquoi refusé de les nommer par une appellation qu'eux-mêmes revendiquent ? Rappelons également qu'en les nommant comme de simples groupes d'opposition", Sophie Pétronin dénature la présence Française au Sahel à travers l'opération Barkhane. Notre pays serait donc une force d'invasion aidant un gouvernement à se maintenir et les 50 militaires morts depuis le début des opérations de simples mercenaires. Non, l'armée Française ne joue pas simplement au gendarme dans cette partie du monde. Il s'agit de combattre une idéologie, un danger qui veut mettre à mal notre façon de vivre et nos valeurs et nous devons du respect aux personnes qui se battent pour nous, ainsi qu'à nos morts et à leurs familles. Ce n'est pas ce que renvoient les déclarations étonnantes de cette femme qui parallèlement a dédié sa vie à aider les enfants atteints de malnutrition à Gao. Cet engagement est sans aucun doute sincère ce qui renforce ce sentiment d'indignation. Pourquoi comprendre le malheur et la souffrance d'enfants au Mali mais refuser de comprendre celle que peut connaître ses compatriotes au vu de ses paroles ? Que représente encore la France aux yeux de celle qui semble avoir passé une détention sans anicroche et qui a exprimé le souhait de retourner au plus vite au Mali : "Cela se passait bien, l'air était sain, bon (…). Je me suis accrochée, j'ai tenu, j'ai beaucoup prié parce que j'avais beaucoup de temps, je me suis promenée, j'ai bien mangé, j'ai bien bu, de l'eau fraîche hein ! (...) Je vais aller en France en Suisse et après je vais revenir voir un peu ce qui se passe ici." Vouloir continuer son œuvre humanitaire est louable mais retourner dans le pays qui lui a fait subir une tentative de kidnapping en 2012 et une détention de 4 ans de 2016 à 2020 est inconscient.

"Devant de telles retombées, il devient simple de comprendre la réaction embarrassée de l’Élysée dans cette affaire."

Si encore il ne s'agissait que de ses déclarations, cela aurait choqué voir indigné mais sans avoir de conséquences. Ici, elles sont réelles et lourdes. En effet, il faut comprendre que sa libération fragilise énormément la présence française dans cette partie de l'Afrique : Sophie Pétronin a été libérée dans le sillage de l'homme politique malien Soumaïla Cissé en contrepartie de la libération de 200 prisonniers affiliés à la mouvance djihadiste à différentes échelles. Ce ne sont pas tous des combattants, cela va du simple livreur au stratège militaire. Quoi qu'il en soit, cet échange a plusieurs impacts. Premièrement, elle offre du crédit au groupe djihadiste auprès de la population en montrant qu'elle peut faire des compromis et qu'elle est ouverte à la discussion. Bien évidemment, il est assez dur de penser que ses anciens prisonniers ne vont pas reprendre leurs anciennes activités, compliquant toujours plus le travail de nos militaires. Deuxièmement , du fait que les négociations ont été menées par les autorités maliennes, cela oblige un État Français réticent à davantage ouvrir sa diplomatie avec un gouvernement malien encore composé de la junte militaire ayant perpétré un coup d’État le 18 août 2020. Devant de telles retombées, il devient simple de comprendre la réaction embarrassée de l’Élysée dans cette affaire. Pas de discours de la part du président Emmanuel Macron si ce n'est un simple tweet : "Les Français se réjouissent avec moi de vous revoir enfin chère Sophie Pétronin. Bienvenue chez vous !". Ce silence traduit bien une gêne qui parcourt toute notre société devant le déroulé de cette libération. Paradoxalement, l'effet pervers de cette remise en liberté est de rendre la cible présente sur les ressortissants Français à l’étranger toujours plus grande : Kidnapper un Français rapporte de l'argent si vous arrivez à échapper aux commandos qui vont tenter de le récupérer dans un premier temps. On peut citer comme exemple les deux otages enlevés au Bénin en mai 2019 et libérés une semaine plus tard grâce à une opération des forces spéciales coûtant la vie à deux soldats. Doit-on alors abandonner les otages français à leurs sorts s'ils ne respectent pas les "conseils aux voyageurs" du Quai d'Orsay ? Même les Américains réputés pour ne pas négocier avec les terroristes ont dans les faits échangé des prisonniers talibans contre le sergent américain Bowe Bergdahl en 2014 alors que paradoxalement ce dernier était en pleine désertion lorsqu'il s'est fait capturer.Voilà donc une question complexe mais il est difficile de concevoir la République abandonnant ses concitoyens. L'équation reste néanmoins inchangée : plus de négociations est équivaut à agrandir la valeur du kidnapping.

"une victoire à la Pyrrhus"

La France a donc récupéré son dernier otage détenu dans le monde mais a grandement fragilisé sa position au Sahel et a par la même occasion affaibli la légitimité de l'Opération Barkhane aux yeux des Français : Si même un otage ne se plaint pas de ses ravisseurs, que font alors nos soldats au beau milieu du désert ? Nous voilà finalement avec une libération qui sonne amèrement comme une victoire à la Pyrrhus et montre que ce combat sans fin contre l'islamisme religieux nous épuise continuellement et parfois, comme c'est le cas ici, d'une manière inattendue.



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